Yann Leguay présente dans le kiosque électronique Discsection, performance qui consiste en la gravure manuelle d’un disque vierge, version live de son projet DeaD_MediA.
La pratique de Yann Leguay s’inscrit dans une lignée de détournement d’instruments établis et il cite comme références Milan Knizak et son « Broken Music », eriKm en France et bien sûr le précurseur des platinistes Christian Marclay.
Discsection a beaucoup évolué depuis sa création en 2007 : elle s’appelait au départ Cutter Off, du nom du bouton qui coupe l’ampli à la fin du mastering. Yann Leguay n’utilisait alors pas autant d’outils qu’à présent : il avait fait presser des disques avec des boucles constituées de craquements de vinyles et de bruits de disques que l’on perce ou que l’on casse, et il s’agissait alors de DJeeing brut car il ne se servait d’aucune autre matière. Il a ensuite utilisé des lames et des cutters équipés de micros contacts qui remplaçaient le diamant des platines, pour finir par disséquer un disque vierge avec 4 outils (ici une aiguille, un scalpel, une lame de cutter et un clou) branchés sur des micros et permettant de mixer les sources en direct.
Dans cette performance, les actions effectuées sur la surface vierge du disque sont produites et diffusées en même temps : c’est le processus qui fait le concert, et les sons engendrés alors peuvent être réécoutés grâce à la gravure manuelle qui fixe la performance et renforce une dimension physique déjà très présente.
Yann Leguay n’utilise ni samples ni effets : il construit une mélodie puis la déconstruit et travaille essentiellement à l’assemblement des différentes matières. Si un accident se produit (comme le bras d’une platine qui bouge etc.), il est intégré dans la performance du fait de la gravure.
Les concerts sont tous différents car si l’artiste connaît à l’avance les types de sons qu’il peut produire, il ne sait en revanche pas comment il va les assembler ensuite : tantôt groovy, tantôt noise, parfois même dub quand la diffusion par enceintes permet de lancer des rythmiques plus fortes, le set dépend du lieu et du moment mais repose toujours sur les boucles qu’impliquent le disque qui tourne sur la platine.
Il en va de même pour les interprétations du public et ce qu’il entend: certains y voient le meurtre d’un disque, d’autres l’exploitation d’un medium qui devient un instrument, certains se concentreront sur la rythmique, d’autres sur la mélodie, d’autres enfin sur l’aspect plus bruitiste. C’est cette possibilité d’une écoute très personnelle offerte par la richesse des sons produits qui rend plus que pertinente la présence de Yann Leguay dans le kiosque électronique, dispositif basé sur une expérience intime de la musique.
La perception de l’artiste est également variable car si la performance pour le Nouveau Festival a duré plus de 40 minutes, Yann Leguay a eu l’impression de jouer très peu de temps : le lieu clos aurait alors influencé la construction du concert, plus rapide et plus dense.
Le kiosque est pour Yann Leguay une manifestation physique de la bulle qui est toujours créée pendant un live, mais aussi une sorte de bloc opératoire où les spectateurs observent ce praticien totalement absorbé. Yann Leguay a découvert le kiosque électronique au Plateau, comme auditeur et avec l’impression d’être lié physiquement au musicien par les câbles qui lui évoquaient déjà autant de stéthoscopes permettant d’écouter ce qui se passe dans la « boîte ».
La diffusion par casque introduit enfin une différence fondamentale par rapport à un concert classique : le public entend non seulement les bruits amplifiés mais aussi s’il enlève son casque des bruits acoustiques comme les grincements produits par la gravure des disques et qui normalement ne sont pas audibles. Le musicien ne perçoit lui rien de cela car il joue avec un casque, mais le phénomène est intéressant: un set clandestin et involontairement livré aux spectateurs vient compléter la performance.
Un album issu d’une performance de Discsection est sorti sur le label Artkillart fondé par Clément Lyonnet, Thomas Pigache et Kévin Bartoli (Yann Leguay y dirige la collection « Drift »).
Ce label travaille sur le rapport au support en invitant des artistes à transférer leurs processus et démarches sur disques, passant ainsi de l’immatériel au matériel. Ils doivent imaginer un nouvel objet à partir de leurs créations dans une démarche d’exploration technique du support.
L’artiste Valentina Vuksic a ainsi été invitée pour un disque qui sortira en janvier prochain à repenser « Harddisko », une installation où elle utilise un orchestre de disques durs dont l’activité est enregistrée par des micros électromagnétiques.
http://www.phonotopy.org/ : label d’autoproduction de Yann Leguay.
http://artkillart.tk/